A l’opposé de certaines institutions haïtiennes
qui constituent des émanations du code civil français promulgué en 1804, code
qui recevra d’une loi de 1807 le nom de code de napoléon, la conciliation des
parties en litige est un mécanisme bien ancré dans les coutumes
haïtiennes. L’arrivée de cette méthode de résolution des différends peut être
valablement liée à celle, sur le sol de Saint Domingue au début du XVIe siècle,
des noirs d’Afrique imprégnés de la justice traditionnelle africaine. Justice
de chefs qui privilégie la conciliation des protagonistes plutôt que
l’imposition impersonnelle d’une loi. Aujourd’hui encore subsiste, dans
la plupart de nos sections communales, la pratique du recours à un notable de
la zone pour mettre un terme au différend qui oppose les parties.
Du
latin conciliatio, la conciliation est un mode de règlement des différends par
accord des parties, obtenu avec l’aide d’un tiers appelé conciliateur. Celui-ci
n’a pas pour rôle de trancher le litige. Sa présence vise uniquement à
aider les Parties à trouver leur propre solution. En cas d’accord, il rédige un
procès verbal de conciliation ou, dans le cas contraire, un procès-verbal de
non conciliation dénué de toute force contraignante.
Il
convient de souligner que, malgré son insertion dans notre droit, la
conciliation n’est pas pour autant définie par le législateur haïtien. On
notera, cependant, qu’elle a fait son entrée dans le droit positif
haïtien avec l’institution des Tribunaux de Paix en Haïti par la loi
impériale du 7 juin 1805. La procédure y relative sera tracée plus tard dans la
Loi du 20 Août 1897.
Si
ce mode de règlement amiable des différends est, au regard de la législation
haïtienne, facultatif en certaine matière, elle constitue néanmoins une
étape obligatoire dans certaines procédures.
Un dispositif facultatif
La
conciliation des Parties en litige est facultative par devant la Juridiction de
Paix, à la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage d’Haïti et au niveau des
Parquets.
A Devant la Juridiction de
Paix (Code de Procédure civile annoté par Pierre Gonzalès : Arts. 57 à 67)
Comme
son nom l’indique, le Juge de Paix est un Juge institué pour favoriser la paix
dans sa juridiction. Etant le Juge le plus proche des citoyens, il est
effectivement le plus à même de les aider à trouver une solution à leur
conflit. Ce juge qui joue un rôle extrêmement important dans de nombreux
aspects du quotidien des gens, doit toujours chercher à apporter une
réponse à dimension humaine, de préférence en concertation avec les parties.
Cela s’inscrit principalement dans le cadre d’une conciliation.
Aux
termes de l’article 57 du Code de Procédure Civile annoté par Pierre
Gonzalès, « les Parties peuvent se présenter volontairement devant
le Juge de Paix du domicile de l’une d’elles et requérir ce magistrat de tenter
de les concilier sur les différends dont elles lui feront en personne l’exposé
verbal. Si un accord intervient, il est constaté par le Greffier dans un
procès-verbal qui aura la force probante d’un acte authentique, sans pouvoir
être revêtu de la formule exécutoire ni contenir constitution
d’hypothèque ».
La
procédure, les contestations qui peuvent être soumises à conciliation par
devant la Justice de Paix de même que celles qui ne peuvent pas l’être sont
traitées aux articles 58 à 67 dudit code.
Il
est important de garder à l’esprit qu’à la fin de la procédure, le Juge de paix
ne dicte pas une sentence qui s’impose aux parties mais dresse de préférence,
avec l’aide du Greffier, un procès-verbal de conciliation ou de non
conciliation privé de toute force exécutoire.
B Dans la Chambre de
Conciliation et d’Arbitrage d’Haïti (CCAH)
La
Législation haïtienne fait de la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage d’Haïti
un organe compétent pour recevoir, en conciliation, les commerçants en
conflits. L’article 2 de la Loi du 15 juin 1935 « autorisant la
Chambre de Commerce d’Haïti à créer une Chambre de Conciliation et d’Arbitrage
commercial » dispose en effet que « les commerçants auront la faculté
de soumettre au comité directeur de ladite chambre de conciliation et
d’arbitrage, à titre de conciliation, tous les différends qui pourront les
diviser ».
C Au niveau des Tribunaux
de Paix et des Parquets de la République
Bien
qu’aucune disposition légale n’attribue la compétence de conciliation pénale
aux Juges de paix de même qu’aux Commissaires du Gouvernement, il se révèle
dans les faits que certaines fois, ces magistrats, saisis d’une plainte,
tentent de trouver un accord et dans certains cas imposent une solution aux
Parties au lieu de suivre la procédure tracée par le Code d’Instruction
Criminelle.
Cette
pratique s’apparente à la médiation pénale introduite en France par la
Loi du 4 janvier 1993 et qui constitue une voie médiane entre la poursuite
pénale et le classement sans suite. En effet, sur proposition du Parquet, la
médiation pénale réunit l’auteur et la victime de l’infraction en vue de
trouver une solution librement négociée entre eux en présence d’un tiers
médiateur habilité par la justice.
Un passage obligatoire préalable
à la saisine du tribunal compétent
Si
la conciliation est, dans certains cas, un dispositif facultatif, il n’en
demeure pas moins vrai que le législateur en fait une étape incontournable dans
certaines procédures. En effet, la conciliation des Parties constitue une étape
charnière dans le règlement de certains conflits. Le non-respect de cette phase
fondamentale vicie la procédure en cours et constitue une fin de non recevoir
qui peut être soulevée par la partie adverse devant la juridiction compétente.
La
conciliation est obligatoire en cas de conflits soit entre l’exécutif et
le pouvoir législatif, soit entre les deux chambres du Parlement. Elle
est également obligatoire en matière de conflits du travail et dans la
procédure de divorce.
A Une commission importante
en cas de différend entre les deux chambres du Parlement ou encore entre
le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif (Constitution haïtienne du
29 mars 1987 : Arts 111-5 à 111-7 et 206,206-1)
L’article
111-5 de la Constitution du 29 mars de 1987 dispose qu’en cas de désaccord
entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, la commission de
Conciliation prévue à l’article 206 est saisie du différend sur demande de
l’une des Parties.
L’article
206 de ladite Constitution, qui étend la compétence de cette Commission de
conciliation au litige opposant les deux chambres du Parlement, traite de la
formation de cette Commission. Elle est, en effet, composée comme suit:
Le
Président de la cour de cassation, Président
Le
Président du Sénat, Vice-président
Le
Président de la chambre des députés, membre
Le
Président du Conseil Electoral Permanent, membre
Le
Vice-président du Conseil Electoral Permanent, membre
Deux
ministres désignés par le Président de la république, membres.
Ce
n’est qu’en cas d’échec de cette Commission, qui à cet effet dresse un
procès-verbal de non conciliation et en donne avis à la Cour de Cassation, que
celle-ci, Juridiction suprême compétente en la matière, peut se saisir d’office
du différend.
B Un passage obligatoire en
cas de conflit de travail (Code du Travail : arts. 161 à 180, art. 487)
Le
passage préalable, obligatoire, devant la Direction du Travail en ses
attributions de conciliation est le principe fondateur du Tribunal de
Travail. A la différence des tribunaux ordinaires qui sont généralement saisis
par l’une des parties en cause, le Tribunal de Travail ne peut être saisi que
sur requête de la Direction du Travail du Ministère des Affaires Sociales. (art
489 C.T.)
Il
résulte en effet des articles 161 et 163 du Code du Travail que tout conflit de
travail, individuel ou collectif, doit être nécessairement soumis à la
conciliation de la Direction du Travail. Il est donc clair que le
préliminaire de conciliation est obligatoire, interdisant ainsi aux parties de
saisir directement le tribunal de Travail. Le non respect de cette phase
constitue un vice de forme qui peut être soutenu par l’une des parties avant
toute défense sur le fond.
C Une étape incontournable
dans la procédure de divorce (Code Civil annoté par Menan
Pierre-Louis : Arts. 223 à 228, 268 à 274)
Qu’elle
soit pour cause déterminée ou par consentement mutuel, la procédure de divorce
est constituée de deux phases : la conciliation et le jugement. La
conciliation est donc l’une des étapes juridiques de la procédure de divorce.
A
la phase de conciliation, le Doyen du Tribunal de Première Instance compétent,
saisi par requête de l’un des époux en cas de divorce pour faute ou par les
deux dans la procédure de divorce par consentement mutuel, va essayer de
trouver un accord entre les époux tant sur le principe que sur les effets du
divorce.
La
tentative de conciliation, phase fondamentale dans la procédure de divorce,
peut être renouvelée par le Doyen dans le but de porter l’époux demandeur
ou les deux, suivant le cas, à réfléchir sur leur demande.
Ainsi,
Mécanisme important de règlement amiable des différents, la conciliation est
bien présente dans la législation haïtienne qui fait d’elle tantôt une étape
facultative, tantôt une étape fondamentale dans différentes procédures.
Cependant, la conciliation demeure un mode de règlement des litiges
alternatif au procès peu connu et peu utilisé par les justiciables haïtiens.
Une modification du cadre légal de ce mécanisme s’avère-t-elle donc
opportune en vue de le rendre plus adapté aux réalités actuelles.
Un mode alternatif de résolution des
différends peu connu et peu utilisé
L’inexistence
de données statistiques fiables concernant le recours aux modes
alternatifs de résolution des conflits en Haïti ne nous permet pas
d’opiner sur la fréquence d’utilisation de la conciliation en Haïti. Néanmoins,
le taux élevé d’affaires simples pendantes par devant les juridictions de Paix
et les chambres commerciales des Tribunaux de Première Instance nous autorise à
avancer que ce dispositif est peu connu et peu utilisé par les justiciables
haïtiens en vue de mettre fin au différend qui les oppose. Or, la conciliation
est un mode de règlement amiable des litiges qui présente de multiples avantages.
Avantages de la conciliation
La
conciliation présente de nombreux avantages. Nous nous bornerons d’en
énumérer ici trois:
La conciliation : une procédure
peu onéreuse qui peut être mise en œuvre rapidement
Donc,
avant d’entamer une procédure classique, les parties peuvent, selon le cas,
faire appel aux organes compétents pour les concilier.
La conciliation : une
procédure souple et non contraignante.
Les
Parties saisissent l’organe compétent par simple requête et, en cas d’accord
entre elles, le conciliateur dresse un procès-verbal de conciliation. Dans le
cas contraire, le Conciliateur rédige un procès verbal de non conciliation. Il
ne peut en aucun cas prononcer une condamnation.
La conciliation : une procédure
confidentielle
Seulement
les Parties en cause, assistées de leurs conseillers si elles le décident, et
le conciliateur participent aux discussions et le conciliateur ne peut en aucun
cas imposer une solution pour mettre fin au litige. De plus, la
conciliation permet de maintenir les relations commerciales ou personnelles des
parties.
Ces
nombreux atouts de la conciliation font d’elle un instrument intéressant et
apte à contribuer au désengorgement des tribunaux haïtiens. D’où la nécessité
de modifier le cadre légal y relatif afin de l’ajuster aux réalités haïtiennes.
Un
cadre légal de la conciliation adapté aux réalités actuelles
Soumission de la conciliation à des
règles rigoureuses.
La
nécessité d’établir des principes et limites clairs au recours à la
conciliation s’avère importante notamment dans les juridictions de Paix dans
leurs attributions de simple police et au niveau des Parquets. Car. s’il est
vrai que la conciliation des Parties contribue au désencombrement des
tribunaux, il n’en demeure pas moins que les droits des justiciables doivent
être respectés et protégés à tous les niveaux.
En
ce sens, le législateur haïtien est invité à encadrer la pratique de
conciliation qui se réalise dans les Tribunaux de Paix et dans les Parquets de
la République pénale ( Intégrer, par exemple, dans notre corpus juridique la
médiation pénale). Il doit en outre dresser la liste des litiges susceptibles
de faire l’objet d’une conciliation pénale et se prononcer également sur
l’autorité compétente en la matière qui peut ne pas être forcément le Juge de
Paix ou le Commissaire du gouvernement.
De
plus, il peut se révéler utile de :
Rendre
obligatoire, dans les affaires civiles, l’étape de la conciliation en justice
de Paix et établir de manière claire les conflits dans lesquels elle peut être
mise en œuvre.
Instituer
dans les Tribunaux de Paix des conciliateurs formés et capables de recevoir en
conciliation les Parties en conflit.
Ces
deux propositions permettront aux Juges de Paix de se décharger de certaines
affaires simples et de se consacrer à celles qui ne peuvent être soumises à la
conciliation.
Rendre
facultative, à toute hauteur de la procédure, la tentative de conciliation dans
les procès civils au niveau des Tribunaux de Première Instance.
Accorder
aux Juges des Tribunaux de Première Instance la faculté de conciliation des
Parties à toute hauteur de la procédure, dans les affaires civiles,
c'est-à-dire avant et après délivrance de l’acte introductif d’instance, peut
se révéler être un instrument important de réduction du nombre d’affaires
pendantes par devant ces juridictions.
Toutefois
l’établissement d’un cadre légal clair et précis ne suffit pas pour accommoder
la conciliation aux réalités actuelles. Une nécessaire sensibilisation de
toutes les parties concernées à l’utilité de ce mode de règlement des
différends s’impose également. A cet effet, nous proposons :
Une
sensibilisation accrue de la population haïtienne au recours à la conciliation
pour mettre fin à leur différend.
La
sensibilisation et la formation des magistrats des différentes instances
juridictionnelles
La
sensibilisation et la formation des avocats de l’ensemble des Barreaux de la
République.
Bibliographie
Législation haïtienne
Constitution
de la République d’Haït du 29 mars 1987, Centre Œcuménique des Droits de
l’Homme, Haïti, 1997, 140p
GONZALES
Pierre (annoté par), Code de Procédure Civile, Haïti, 1958, 373p
HECTOR
Luc D.(annoté par), Code de Procédure Civile, Editions Henry Deschamps, Haïti,
1989, 441p
PIERRE-LOUIS
Menan (annoté par), Code Civil haïtien, Tome I, Presses de l’Imprimeur II,
Haïti, 1993, 322p
PIERRE-LOUIS
Menan, PIERRE-LOUIS Patrick (annoté par), Code Civil haïtien, Tome II, Presses
du D.E.L., Haïti, 1995, 419p
PIERRE-LOUIS
Menan, PIERRE-LOUIS Patrick (annoté par), Code d’Instruction Criminelle,
Editions Zémès, Haïti, 2009, 171p
SALES
Jean-Frédéric, Code du Travail de la République d’Haïti, Presses de
l’Université Quisqueya, Haïti, 1992, 398p
Loi
du 15 juin 1935 autorisant la Chambre de Commerce d’Haïti à créer une
Chambre de Conciliation et d’Arbitrage commercial (Moniteur No 52 du lundi 24
juin 1935)
Ouvrages
Cornu
Gérard, Vocabulaire juridique, Presse Universitaires de France, Paris,
2005,970p
Guillien
Raymond et Vincent Jean (sous la direction), Lexique des termes juridiques,
Editions Dalloz, 13e édition, Paris, 2001, 592p
Latortue
François, Le Droit du travail en Haïti, Presses de l’Imprimeur II, Haïti, 2001,
504p
Me Maridès Ménager Alexandre
Doctorante en Droit Public (Université
de Grenoble, France)
Spécialiste en Modes Alternatifs de résolution
des Conflits, (Haïti, France)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire