mercredi 28 janvier 2015

La Conciliation au regard du droit haïtien


A l’opposé de certaines institutions haïtiennes  qui constituent des émanations du code civil français promulgué en 1804, code qui recevra d’une loi de 1807 le nom de code de napoléon, la conciliation des parties en litige est un mécanisme  bien ancré dans  les coutumes haïtiennes. L’arrivée de cette méthode de résolution des différends peut être valablement liée à celle, sur le sol de Saint Domingue au début du XVIe siècle, des noirs d’Afrique imprégnés de la justice traditionnelle africaine. Justice de chefs qui privilégie la conciliation des protagonistes plutôt que l’imposition impersonnelle  d’une loi. Aujourd’hui encore subsiste, dans la plupart de nos sections communales, la pratique du recours à un notable de la zone pour mettre un terme au différend qui oppose les parties. 
Du latin conciliatio, la conciliation est un mode de règlement des différends par accord des parties, obtenu avec l’aide d’un tiers appelé conciliateur. Celui-ci n’a pas pour rôle de trancher le litige. Sa présence vise uniquement à  aider les Parties à trouver leur propre solution. En cas d’accord, il rédige un procès verbal de conciliation ou, dans le cas contraire, un procès-verbal de non conciliation dénué de toute force contraignante. 
Il convient de souligner que, malgré son insertion dans notre droit, la conciliation n’est pas pour autant définie par le législateur haïtien. On notera, cependant, qu’elle a fait son entrée dans le droit positif  haïtien avec  l’institution des Tribunaux de Paix en Haïti par la loi impériale du 7 juin 1805. La procédure y relative sera tracée plus tard dans la Loi du 20 Août 1897.
Si ce mode de règlement amiable des différends est, au regard de la législation haïtienne,  facultatif en certaine matière, elle constitue néanmoins une étape obligatoire dans certaines procédures.
Un dispositif facultatif
La conciliation des Parties en litige est facultative par devant la Juridiction de Paix, à la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage d’Haïti et au niveau des Parquets.
A   Devant la Juridiction de Paix (Code de Procédure civile annoté par Pierre Gonzalès : Arts. 57 à 67)
Comme son nom l’indique, le Juge de Paix est un Juge institué pour favoriser la paix dans sa juridiction. Etant le Juge le plus proche des citoyens, il est effectivement le plus à même de les aider à trouver une solution à leur conflit. Ce juge qui joue un rôle extrêmement important dans de nombreux aspects du quotidien des gens, doit toujours chercher  à apporter une réponse à dimension humaine, de préférence en concertation avec les parties. Cela s’inscrit principalement dans le cadre d’une conciliation.
Aux termes de l’article 57 du Code de Procédure Civile annoté par Pierre Gonzalès,  « les Parties peuvent se présenter volontairement devant le Juge de Paix du domicile de l’une d’elles et requérir ce magistrat de tenter de les concilier sur les différends dont elles lui feront en personne l’exposé verbal. Si un accord intervient, il est constaté par le Greffier dans un procès-verbal qui aura la force probante d’un acte authentique, sans pouvoir être revêtu de la formule exécutoire ni contenir constitution d’hypothèque ».
La procédure, les contestations qui peuvent être soumises à conciliation par devant la Justice de Paix de même que celles qui ne peuvent pas l’être sont traitées aux articles 58 à 67 dudit code.
Il est important de garder à l’esprit qu’à la fin de la procédure, le Juge de paix ne dicte pas une sentence qui s’impose aux parties mais dresse de préférence, avec l’aide du Greffier, un procès-verbal de conciliation ou de non conciliation privé de toute force exécutoire.
B   Dans la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage d’Haïti (CCAH)
La Législation haïtienne fait de la Chambre de Conciliation et d’Arbitrage d’Haïti un organe compétent pour recevoir, en conciliation, les commerçants en conflits. L’article 2 de la Loi du 15 juin 1935  « autorisant la Chambre de Commerce d’Haïti à créer une Chambre de Conciliation et d’Arbitrage commercial » dispose en effet que « les commerçants auront la faculté de soumettre au comité directeur de ladite chambre de conciliation et d’arbitrage, à titre de conciliation, tous les différends qui pourront les diviser ».
C   Au niveau des Tribunaux de Paix et des Parquets de la République
Bien qu’aucune disposition légale n’attribue la compétence de conciliation pénale aux Juges de paix de même qu’aux Commissaires du Gouvernement, il se révèle dans les faits que certaines fois, ces magistrats, saisis d’une plainte, tentent de trouver un accord et dans certains cas imposent une solution aux Parties au lieu de suivre la procédure tracée par le Code d’Instruction Criminelle.
Cette pratique s’apparente à la médiation pénale  introduite en France par la Loi du 4 janvier 1993 et qui constitue une voie médiane entre la poursuite pénale et le classement sans suite. En effet, sur proposition du Parquet, la médiation pénale réunit l’auteur et la victime de l’infraction en vue de trouver une solution librement négociée entre eux en présence d’un tiers médiateur habilité par la justice.
Un passage  obligatoire préalable à  la saisine du tribunal compétent
Si la conciliation est, dans certains cas, un dispositif facultatif, il n’en demeure pas moins vrai que le législateur en fait une étape incontournable dans certaines procédures. En effet, la conciliation des Parties constitue une étape charnière dans le règlement de certains conflits. Le non-respect de cette phase fondamentale vicie la procédure en cours et constitue une fin de non recevoir qui peut être soulevée par la partie adverse devant la juridiction compétente.
La conciliation est obligatoire en  cas de conflits soit entre l’exécutif et le pouvoir législatif, soit entre les deux chambres du Parlement.  Elle est également obligatoire en matière de conflits du travail et dans la procédure de divorce.
A   Une commission importante en cas  de différend entre les deux chambres du Parlement ou encore entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif  (Constitution haïtienne du 29 mars 1987 : Arts 111-5 à 111-7 et 206,206-1)
L’article 111-5 de la Constitution du 29 mars de 1987 dispose qu’en cas de désaccord entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, la commission de Conciliation prévue à l’article 206 est saisie du différend sur demande de l’une des Parties.
L’article 206 de ladite Constitution, qui étend la compétence de cette Commission de conciliation au litige opposant les deux chambres du Parlement, traite de la formation de cette Commission. Elle est, en effet, composée comme suit:
Le Président de la cour de cassation, Président
Le Président du Sénat, Vice-président
Le Président de la chambre des députés, membre
Le Président du Conseil Electoral Permanent, membre
Le Vice-président du Conseil Electoral Permanent, membre
Deux ministres désignés par le Président de la république, membres.
Ce n’est qu’en cas d’échec de cette Commission, qui à cet effet dresse un procès-verbal de non conciliation et en donne avis à la Cour de Cassation, que celle-ci, Juridiction suprême compétente en la matière, peut se saisir d’office du différend. 
B   Un passage obligatoire en cas de conflit de travail (Code du Travail : arts. 161 à 180, art. 487)
Le passage préalable, obligatoire, devant la Direction du Travail en ses attributions de conciliation  est le principe fondateur du Tribunal de Travail. A la différence des tribunaux ordinaires qui sont généralement saisis par l’une des parties en cause, le Tribunal de Travail ne peut être saisi que sur requête de la Direction du Travail du Ministère des Affaires Sociales. (art 489 C.T.)
Il résulte en effet des articles 161 et 163 du Code du Travail que tout conflit de travail, individuel ou collectif, doit être nécessairement soumis à la conciliation de la Direction du Travail.  Il est donc clair que le préliminaire de conciliation est obligatoire, interdisant ainsi aux parties de saisir directement le tribunal de Travail. Le non respect de cette phase constitue un vice de forme qui peut être soutenu par l’une des parties avant toute défense sur le fond. 
C   Une étape incontournable dans la procédure de  divorce (Code Civil annoté par Menan Pierre-Louis : Arts. 223 à 228,  268 à 274)
Qu’elle soit pour cause déterminée ou par consentement mutuel, la procédure de divorce est constituée de deux phases : la conciliation et le jugement. La conciliation est donc l’une des étapes juridiques de la procédure de divorce.
A la phase de conciliation, le Doyen du Tribunal de Première Instance compétent, saisi par requête de l’un des époux en cas de divorce pour faute ou par les deux dans la procédure de divorce par consentement mutuel, va essayer de trouver un accord entre les époux tant sur le principe que sur les effets du divorce.
La tentative de conciliation, phase fondamentale dans la procédure de divorce, peut être renouvelée par le Doyen dans le but de porter  l’époux demandeur ou les deux, suivant le cas,  à  réfléchir  sur leur demande.
Ainsi, Mécanisme important de règlement amiable des différents, la conciliation est bien présente dans la législation haïtienne qui fait d’elle tantôt une étape facultative, tantôt une étape fondamentale dans différentes procédures. Cependant,  la conciliation demeure un mode de règlement des litiges alternatif au procès peu connu et peu utilisé par les justiciables haïtiens. Une modification du cadre légal de ce mécanisme  s’avère-t-elle donc opportune en vue de le rendre plus adapté aux réalités actuelles.
Un mode alternatif de résolution des différends peu connu et peu utilisé 
L’inexistence de données statistiques fiables  concernant le recours aux modes alternatifs de résolution des conflits en Haïti  ne nous permet pas d’opiner sur la fréquence d’utilisation de la conciliation en Haïti. Néanmoins, le taux élevé d’affaires simples pendantes par devant les juridictions de Paix et les chambres commerciales des Tribunaux de Première Instance nous autorise à avancer que ce dispositif est peu connu et peu utilisé par les justiciables haïtiens en vue de mettre fin au différend qui les oppose. Or, la conciliation est un mode de règlement amiable des litiges qui présente de multiples avantages.
Avantages de la conciliation
La conciliation présente de nombreux avantages.  Nous nous bornerons d’en énumérer ici trois:
La conciliation : une procédure peu onéreuse qui peut être mise en œuvre rapidement
Donc, avant d’entamer une procédure classique, les parties peuvent, selon le cas, faire appel aux organes compétents pour les concilier.
 La conciliation : une procédure souple et non contraignante.
Les Parties saisissent l’organe compétent par simple requête et, en cas d’accord entre elles, le conciliateur dresse un procès-verbal de conciliation. Dans le cas contraire, le Conciliateur rédige un procès verbal de non conciliation. Il ne peut en aucun cas prononcer une condamnation.
La conciliation : une procédure confidentielle
Seulement les Parties en cause, assistées de leurs conseillers si elles le décident, et le conciliateur participent aux discussions et le conciliateur ne peut en aucun cas imposer une solution pour mettre fin au litige. De plus,  la conciliation permet de maintenir les relations commerciales ou personnelles des parties.
Ces nombreux atouts de la conciliation font d’elle un instrument intéressant et apte à contribuer au désengorgement des tribunaux haïtiens. D’où la nécessité de modifier le cadre légal y relatif afin de l’ajuster aux réalités haïtiennes.
Un cadre légal de la conciliation adapté aux réalités actuelles  
Soumission de la conciliation à des règles rigoureuses.
La nécessité d’établir des principes et limites clairs au recours à la conciliation s’avère importante notamment dans les juridictions de Paix dans leurs attributions de simple police et au niveau des Parquets. Car. s’il est vrai que la conciliation des Parties contribue au désencombrement des tribunaux, il n’en demeure pas moins que les droits des justiciables doivent être respectés et protégés à tous les niveaux. 
En ce sens, le législateur haïtien est invité à encadrer la pratique de conciliation qui se réalise dans les Tribunaux de Paix et dans les Parquets de la République pénale ( Intégrer, par exemple, dans notre corpus juridique la médiation pénale). Il doit en outre dresser la liste des litiges susceptibles de faire l’objet d’une conciliation pénale et se prononcer également sur l’autorité compétente en la matière qui peut ne pas être forcément le Juge de Paix ou le Commissaire du gouvernement.
De plus, il peut se révéler utile de :
Rendre obligatoire, dans les affaires civiles, l’étape de la conciliation en justice de Paix et établir de manière claire les conflits dans lesquels elle peut être mise en œuvre.
Instituer dans les Tribunaux de Paix des conciliateurs formés et capables de recevoir en conciliation les Parties en conflit.
Ces deux propositions permettront aux Juges de Paix de se décharger de certaines affaires simples et de se consacrer à celles qui ne peuvent être soumises à la conciliation.
Rendre facultative, à toute hauteur de la procédure, la tentative de conciliation dans les procès civils au niveau des Tribunaux de Première Instance.
Accorder aux Juges des Tribunaux de Première Instance la faculté de conciliation des Parties à toute hauteur de la procédure, dans les affaires civiles, c'est-à-dire avant et après délivrance de l’acte introductif d’instance, peut se révéler être un instrument important de réduction du nombre d’affaires pendantes par devant ces juridictions. 
Toutefois l’établissement d’un cadre légal clair et précis ne suffit pas pour accommoder la conciliation aux réalités actuelles.  Une nécessaire sensibilisation de toutes les parties concernées à l’utilité de ce mode de règlement des différends s’impose également. A cet effet, nous proposons :
Une sensibilisation accrue de la population haïtienne au recours à la conciliation pour mettre fin à leur différend.
La sensibilisation et la formation des magistrats des différentes instances juridictionnelles
La sensibilisation et la formation des avocats de l’ensemble des Barreaux de la République.

Bibliographie
Législation haïtienne
Constitution de la République d’Haït du 29 mars 1987, Centre Œcuménique des Droits de l’Homme, Haïti, 1997, 140p
GONZALES Pierre (annoté par), Code de Procédure Civile, Haïti, 1958, 373p
HECTOR Luc D.(annoté par), Code de Procédure Civile, Editions Henry Deschamps, Haïti, 1989, 441p
PIERRE-LOUIS Menan (annoté par), Code Civil haïtien, Tome I, Presses de l’Imprimeur II, Haïti, 1993, 322p
PIERRE-LOUIS Menan, PIERRE-LOUIS Patrick (annoté par), Code Civil haïtien, Tome II, Presses du D.E.L., Haïti, 1995, 419p
PIERRE-LOUIS Menan, PIERRE-LOUIS Patrick (annoté par), Code d’Instruction Criminelle, Editions Zémès, Haïti, 2009, 171p
SALES Jean-Frédéric, Code du Travail de la République d’Haïti, Presses de l’Université Quisqueya, Haïti, 1992, 398p
Loi du 15 juin 1935  autorisant la Chambre de Commerce d’Haïti à créer une Chambre de Conciliation et d’Arbitrage commercial (Moniteur No 52 du lundi 24 juin 1935)
Ouvrages
Cornu Gérard, Vocabulaire juridique, Presse Universitaires de France, Paris, 2005,970p
Guillien Raymond et Vincent Jean (sous la direction), Lexique des termes juridiques, Editions Dalloz, 13e édition, Paris, 2001, 592p
Latortue François, Le Droit du travail en Haïti, Presses de l’Imprimeur II, Haïti, 2001, 504p

Me  Maridès Ménager Alexandre
Doctorante en Droit Public (Université de Grenoble, France)
Spécialiste en Modes Alternatifs de résolution des Conflits, (Haïti, France)


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