Il est bien connu que l’Université, parce qu’elle est
productrice de savoirs, de sciences et de techniques, joue un rôle important
dans le développement et dans le bon fonctionnement d’un pays. Beaucoup de pays
voulant atteindre le développement
durable ont bien compris cette corrélation entre Université et développement.
Ainsi, ces pays mettent tout en branle
afin d’avoir des Universités qui constituent des pôles d’excellence. On n’a pas
besoin d’aller chercher trop loin pour trouver un exemple : en République
Dominicaine, il y a des Universités d’excellence qui ont une reconnaissance
internationale au point que même des étudiants originaires des pays développés
choisissent d’y étudier. Hélas ! En Haïti, l’Université est dans un état
tellement déplorable que l’on peut bien se demander si elle mérite son nom. D’ailleurs, Selon le
Professeur Yves Dorestal, l’Université haïtienne n’existe pas encore, nous
avons tout simplement des écoles supérieures qu’on a réunies en Universités[1]. Les problèmes de l’Université en Haïti
sont tellement nombreux[2]
et complexes que nous serons forcément incomplet dans les quelques lignes qui
vont suivre. L’ambition de cet article est plus de soulever ce problème que
l’on a tendance à oublier et négliger que de fournir des solutions détaillées.
1-Histoire succincte de
l’Université haïtienne
En Haïti, c’est à partir du 19 siècle, après l’indépendance, qu’il y a eu
les premières tentatives de création d’institutions d’enseignement supérieur[3].
Ainsi, le roi Henry Christophe a créé en 1815 une Académie royale qui comprenait une école de médecine, de chirurgie
et de pharmacie, une école des arts et métiers et une école d’agriculture. Sous
Jean Pierre Boyer, on tenté la mise en place d’une Académie nationale d’Haïti qui eut une
existence très éphémère. Par la suite, dans la seconde moitié du 19 siècle, il
y a eu quelques tentatives privées comme par exemple l’école polytechnique D’Haïti. Mais toutes créations sont restées des
tentatives qui n’ont pas fait long feu. Le premier véritable établissement
public d’enseignement supérieur est l’École
de Droit (actuellement Faculté de
Droit et des Sciences Economiques) qui
fut inauguré en Avril 1860 par Élie Dubois. Elle était logé dans l’actuel
bâtiment da la DGI et les professeurs était des juristes formés en France. D’où
cette une prédominance de la culture juridique française en Haïti et le
rattachement du droit haïtien à la famille romano-germanique. Ensuite, il y a
eu la création de la Faculté des Sciences
en 1802 sous forme d’institution d’enseignement privée dénommée alors École des Sciences Appliquées. Elle fut
rattachée en 1931 par contrat à la Direction Générale des Travaux
Publics ; et rattachée aussi par contrat en 1941 au Département de
l’Éducation Nationale. Par un arrêté présidentiel de 1945, cette école fut
rattachée à la Faculté des sciences de l’Université d’Haïti créée en 1944. On
remarque que la plupart des Établissements créés avant 1940 ont une orientation
technique (Faculté des Sciences, Faculté de Médecine, Faculté d’Agronomie à
l’exception de la Faculté de Droit). Cela est dû, dit-on, au pragmatisme des
américains qui dirigeaient le pays sous l’occupation américaine. Ces derniers
ont préféré mettre en place des facultés techniques.
Au début du XXème
siècle, avec l’adoption de la loi sur l’Université d’Haïti du 4 août 1920, on
sent apparaitre des velléités d’organiser l’enseignement supérieur. Cependant,
dans cette loi, l’Université était pris dans le sens qu’il avait au Moyen Age
ou l’on intégrait à la fois les niveaux primaires, secondaires et supérieurs.
Avec le décret du 27 décembre 1944, il y a eu une acception moderne de
l’Université et on va essayer de prendre pour modèle les universités
européennes. Un arrêté du 31 août 1945 introduira le début de la vision selon
laquelle l’Université est l’entité gérant l’enseignement supérieur.
Parallèlement à ces changements, l’Université a commencé à devenir un espace de
débat et de réflexion sur les problèmes du pays. Il en résulte que certains
étudiants ont commencé à avoir des positions politiques bien tranchées et sont
prêts à utiliser des moyens concrets de revendication. D’où le fait que les autorités
politiques ont souvent tendance à considérer l’Université comme une menace.
Dans cette contexte, l’histoire de l’Université haïtienne s’écrit dans une
dynamique de conflit entre l’Université, notamment l’UEH, et les diverses
autorités politiques qui se succèdent. Dans ce même ordre d’idée, François
Duvalier procéda à l’abrogation du décret-loi de décembre 1944 par un décret du
16 décembre 1960. La finalité de ce nouveau décret était de permettre à l’État
de contrôler l’Université après une grève des étudiants de la même année[4].
Il faut noter que ce décret change l’appellation de l’Université d’Haïti à
celle d’Université d’Etat d’Haïti. A notre avis, c’était un moyen pour le
pouvoir en place d’alors d’insinuer le droit de contrôle de l’Etat sur l’Université.
La Constitution de 1983 a proclamé que L’Université d’État d’Haïti est une
institution indépendante. Cependant, aucune loi ne fait plus de précision sur
cet aspect. La loi organique de 1989 du Ministère de l’éducation nationale
s’est contentée de dire que l’Université d’État d’Haïti est un organisme
déconcentré. Avec la chute du régime
dictatorial des Duvalier, la Constitution de 1987 réaffirma le statut
d’institution indépendante de l’UEH et le contexte était devenu propice pour
que cette dernière puisse se comporter véritablement comme telle. Désormais,
les Doyens, les Vices recteurs et Recteurs ne sont plus nommés par le
gouvernement mais par le biais d’élections. L’année 1997 constitue une nouvelle
page dans l’histoire de l’UEH car il y a été adopté des dispositions
transitoires qui constatent la caducité du décret du 16 décembre 1960. Ces
dispositions reconnaissent : «La
liberté d’expression, la liberté académique, la liberté de gestion, la liberté
financières et l’inviolabilité de l’espace universitaire.» Ces dispositions
devraient rester en vigueur jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi organique.
L’arrêté du 27 juillet 2002 du Ministère de l’éducation nationale avait décidé
de dissoudre le Conseil de l’Université, de mettre fin au processus électoral
et de remplacer le conseil exécutif de l’UEH par un conseil provisoire. Cela
avait provoqué un mouvement des professeurs et des étudiants de juillet à
décembre 2002 qui avait abouti au retour de l’ancien Recteur et à la démission
du ministre. Jusqu’à date, l’UEH est souvent le théâtre de crises résultant de
mouvements d’étudiants mécontents de la situation de l’Université ou
d’étudiants réclamant des réformes dans le secteur politique.
2- La recherche dans l’Université haïtienne, un impératif qui manque
Si l’on part du
fondement que l’une des missions essentielles d’une Université est de produire
de la connaissance scientifique pouvant être exploitée pour le progrès et le
développement d’une société[5],
notre première question est la suivante: l’ensemble des Universités haïtiennes
produisent-elles de la connaissance scientifique pouvant être utile au progrès
d’Haïti? Nous sommes, hélas, contraint de répondre par la négative. En dépit de
l’article 211-1 de la Constitution qui dispose : «Les universités et écoles supérieures privées et
publiques dispensent un enseignement académique adapté à l’évolution et aux
besoins du développement national », l’Université haïtienne est loin de participer efficacement au
développement du pays. En
effet, les Universités haïtiennes ne publient pas de revues scientifiques[6]
et rarissimes sont les professeurs qui publient des ouvrages et/ou des articles
scientifiques. En outre, s’agissant des sciences exactes, jamais il n’y a eu
une découverte scientifique ou une invention quelconque en Haïti. En effet,
cela est dû en partie au fait qu’en Haïti, l’Université ne fait qu’un travail
de formation et non pas un travail de recherche. Autrement dit, on se contente à inculquer aux
étudiants des théories venues de l’Occident sans leur apprendre comment faire
des recherches utiles à la nation haïtienne ni non plus comment, notamment en
sciences sociales, construire des théories adaptées à la situation haïtienne.
Normalement, la réputation d’un Professeur d’Université tient à ses publications.
Or, dans le système universitaire haïtien, on ne contraint pas ou n’encourage
pas les Professeurs à publier. Ainsi, On trouve des Professeurs qui ont 20 ans
de carrière qui n’ont jamais fait une publication scientifique. Ce qui est
constitue, à notre avis, une situation catastrophique. Un extrait des propos de
J. C. Fignolé à propos des Universités haïtiennes résume bien cet état de fait
catastrophique : « l’UEH, pour ne citer que celle-là, se
retrouve fermée sur elle-même dans des structures vétustes, codifiant des
savoirs dépassés»[7].
Pourquoi donc la
recherche en Haïti est moribonde? Sans prétention de donner une réponse
exhaustive, c’est qu’une majorité écrasante de nos Professeurs
d’Université ne sont pas de véritables
chercheurs. Le problème tient son origine dans la méthode de travail même des
professeurs. Normalement, dans les pays occidentaux, le professeur est nommé, à
temps plein, pour un travail de formation et de recherche. Il a un bureau, un
salaire décent et d’autres avantages lui permettant de faire son travail en
toute quiétude. Or, que ce soit à l’Université d’Etat d’Haïti ou aux
Universités privés, les professeurs sont pour la plupart recrutés à temps
partiel, généralement engagés pour faire un ou plusieurs cours bien spécifiques
avec un salaire qui ne suffit pas pour leur permettre une vie décente. En
outre, la plupart de ces professeurs n’ont aucun bureau et ne sont rattachés à
aucun laboratoire de recherche. Dans ce contexte, le professeur est obligé
d’aller chercher un ou plusieurs emplois supplémentaires pour gagner dignement
sa vie. En fait, la plupart des professeurs d’Université en Haïti sont des gens
travaillant soit dans l’Administration publique, Soit dans les Organisations
internationales, soit dans les ONG ou dans le secteur privé. Il en résulte qu’ils n’ont pas assez de temps
pour participer aux activités académiques.
Cette situation engendre d’autres problèmes tels que l’absence et le
retard dans les cours, l’incapacité de respecter le nombre d’heures requis pour
l’année académique, l’incapacité de finir le programme d’études pour l’année
académique. Souvent, les étudiants laissent leur maison tôt dans le matin sans
petit déjeuner pour assister à un cours programmé pour 7h du matin et c’est à
leur arrivée en salle qu’ils apprennent que le professeur a une contrariété et
ne pourra pas se présenter au cours. En outre, cela affecte aussi la qualité de la formation car le professeur
n’a pas le temps ni pour préparer ses cours ni non plus pour l’annoter en
fonction des évolutions du domaine en question. D’où l’origine du problème de
la mauvaise qualité et de la désuétude des cours enseignés dans certaines
Universités.
À l’Université
d’Etat d’Haïti (UEH), il existe quelques rares professeurs à temps plein mais
ils ont un maigre salaire ne leur permettant pas vraiment de vivre décemment.
Comment en effet payer environ 40000 gourdes (environ 800 euros) de salaire
mensuel à un Professeur à temps plein?[8]
Ainsi, même s’ils sont recrutés à temps plein, ils sont obligés de chercher des
emplois supplémentaires. Dans ce contexte, ils n’ont pas le temps de se
consacrer aux activités de la recherche. Il est à noter que ces professeurs
travaillent souvent sur un fond de frustration légitime et juste quand on met
en relation leur niveau d’études et leur salaire. Il est assez paradoxal qu’on
réclame un niveau de bac+5 minimum à un Professeur quand on refuse de lui
donner un salaire décent. Soulignons à
l’eau forte que beaucoup d’institutions paient des salaires très alléchants aux
personnes ayant un niveau de bac+5.
Parce-que
l’Université haïtienne ne traite pas bien ses Professeurs, beaucoup de gens ayant fait des études
avancées (Master, doctorat,
post-doctorat), malgré leur amour pour le professorat, préfèrent travailler dans d’autres institutions qui les
rémunèrent dignement ou même préfèrent quitter Haïti, après des colères et
frustrations justes, pour intégrer l’enseignement supérieur ailleurs.
L’Université haïtienne perd ainsi de brillants chercheurs qui pourraient
participer à son essor. Sur ce dernier
point, Il est à faire remarquer une
certaine hypocrisie de la classe politique haïtienne qui fanfaronne dans les
medias de la nécessité d’empêcher la fuite des cerveaux mais qui ne fait rien
concrètement pour attirer et garder les chercheurs haïtiens de haut niveau.
3-Le mauvais traitement des
professeurs, un problème dû à la dévalorisation de l’enseignement supérieur et
la recherche en Haïti
Nous ne saurions
faire l’économie d’une question fondamentale: Pourquoi en Haïti les Professeurs
d’Université ne sont pas bien traités? La réponse diffère selon qu’il s’agit de
l’Université d’État d’Haïti ou des Universités privées. S’agissant de ces
dernières, souvent leur budget, résultant principalement des frais
d’inscription et des frais de scolarité des étudiants, n’est pas suffisant pour
qu’il puisse recruter des Professeurs à temps plein. Par ailleurs, Il est à
noter qu’il existe une pléthore d’Universités
borlette dans le pays qui n’ont ni les moyens financiers, ni les structures
pour fonctionner normalement. Parfois, ils fonctionnent sans l’autorisation de
l’Etat. Ces Universités donnent donc un salaire de misère à leurs Professeurs
dont une grande partie d’entre eux ne sont pas qualifiés. Parfois on trouve des
gens qui n’ont pas encore le grade de licencié qui enseigne comme Professeur.
Comment en effet, admettre que quelqu’un n’ayant pas encore le grade de
licencié puisse enseigner des étudiants en licence? Cela constitue une
aberration. Il est évident que ces prétendus professeurs n’ayant aucun diplôme sont obligés d’accepter n’importe quel
misérable salaire vu qu’ils ne sont pas qualifiés. Il est sans besoin de
signaler que le niveau d’éducation qui se dégage dans ces dites Universités
laissent à désirer.
S’agissant de l’Université d’Etat d’Haïti,
d’aucuns donnent la même réponse que pour les Universités privées, à savoir
l’UEH n’a pas les moyens financiers de payer des Professeurs à temps plein.
Quand, exceptionnellement, elle le fait, elle n’accorde qu’un salaire maigre
faute de moyens. Dans ce contexte, les Professeurs à temps plein de l’UEH
devraient se considérer comme des héros sacrifiant leur salaire pour participer
à la formation des futurs cadres du pays. Cependant, cet argument ne tient pas
car l’origine des ressources de l’UEH n’est pas la même que les Universités
privées. L’UEH est en effet une institution indépendante dont les principales
ressources financières proviennent du budget de la République. Donc, on est
amené à poser la question que voici: « Pourquoi l’Etat haïtien, à travers
le budget de la République, n’accorde pas un traitement décent aux Professeurs
et ne leur donne pas les moyens de faire de la recherche? » Pourquoi on préfère recruter des professeurs à temps
partiel au lieu de professeurs à temps plein? Normalement, dans les Universités
occidentales, le Professeur à temps partiel est une exception. C’est un moyen
pour lesdites Universités de recruter un haut fonctionnaire ou homme de terrain afin que ce dernier puisse
mettre son expertise et son expérience pratique au service de l’Université.
Cependant, en Haïti, les professeurs à temps partiel constituent la normalité,
les Professeurs à temps plein étant l’exception. Aux deux questions que nous
venons de formuler précédemment, la réponse la plus fréquente que l’on obtient
de la part des décideurs politiques est qu’il n’y pas assez d’argent pour cela.
Cette réponse facile parait acceptable quand on sait qu’Haïti est un pays
pauvre. Néanmoins, on peut bien la remettre en cause par rapport à d’autres
facteurs. En effet, les autorités étatiques prétendent ne pas avoir les moyens
pour financer correctement l’enseignement supérieur et la recherche au sein de
l’UEH. Cependant, une analyse rationnelle des politiques publiques et de
l’allocation des ressources financières au sein de l’Etat montre leur mauvaise
foi. À ce sujet, le Professeur Fritz Deshommes a déclaré : l’État
ne définit pas, ni n’applique une politique publique claire en matière
d’enseignement supérieur et de recherches scientifiques. Le budget de l’Université
en est l’indicateur[9]». Pour attester de la mauvaise foi des autorités
politiques à ce sujet, on peut faire la comparaison avec les salaires de
nombres de consultants auprès des institutions publiques. Pourquoi l’Etat paie
grassement des consultants alors que des Professeurs d’Université ne reçoivent
pas des traitements décents? Le travail que fait un Professeur ne serait-t-il
pas aussi ou même plus important et utile que celui d’un consultant? Si, comme
moi, votre réponse à cette question est affirmative, on peut donc conclure que
si les Professeurs de l’UEH n’ont pas un bon traitement, c’est parce que les
autorités politiques du pays ne valorisent pas l’enseignement supérieur et la
recherche.
4-L’absence de la régulation
de l’enseignement supérieur en Haïti
Vu le nombre d’Universités existant sur le territoire haïtien[10],
il y a un besoin pressant que l’ensemble de ces Universités obéissent à un
ensemble de règles permettant leur bon fonctionnement et une certaine
uniformité dans leurs méthodes de travail. C’est que nous entendons par
régulation de l’enseignement supérieur. En l’état actuel du système
universitaire haïtien, cette régulation est quasiment existante. D’ailleurs, il
y a un vide juridique sur l’enseignement supérieur en Haïti. Alors que la
réforme de l’enseignement supérieur est un sujet très en vogue en Haïti, les
projets de loi déposés dans ce domaine n’ont jamais eu de succès. Il n’y a que
l’Université d’État d’Haïti qui est pris en compte par le droit positif[11].
D’ailleurs, on ne s’entend pas sur l’institution qui a pour compétence de faire
ce travail de régulation. Selon la Constitution haïtienne de 1987, c’est
l’Université d’État d’Haïti qui devrait faire ce travail. En effet, l’article
211 de la Constitution dispose : « L’autorisation de fonctionner des universités et des écoles supérieures
privées est subordonnée à l’approbation technique du conseil de l’Université
d’État, à une participation majoritaire haïtienne au niveau du capital et du
corps professoral ainsi qu’à l’obligation d’enseigner notamment en langue
officielle du pays. »
Cependant, dans la réalité les Institutions d’enseignement supérieur
privées n’ont jamais accepté cette
mesure constitutionnelle. D’ailleurs, l’UEH ne joue pas vraiment ce rôle. C’est
plutôt le Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle
qui donnent l’accréditation aux Universités privées. Or, c’est un secret de
polichinelle que l’attribution de l’accréditation est plus fondée sur les
accointances personnelles que sur la compétence. Dans ce contexte, n’importe
quelle Université bidon peut avoir une reconnaissance de l’État si ses
fondateurs ont du piston. D’où la présence sur le marché haïtien d’un tas d’Universités borlette.
En outre, Une fois
que le Ministère de l’éducation nationale accorde l’autorisation de
fonctionnement, il n’y aucun travail de suivi qui est fait. Or, la régulation
de l’enseignement supérieur ne saurait se limiter au fait d’accorder une
reconnaissance ou non à des Universités. Elle renvoie à beaucoup d’autres
exigences. Sans prétention à l’exhaustivité, nous pouvons citer
celles-ci : le suivi et l’évaluation des programmes d’études des
Universités, le contrôle de la qualité des cours dispensés, l’uniformité des
programmes de formation, la coopération universitaire, le contrôle de la
qualité de l’espace physique dans lesquelles les cours sont dispensés, la
vérification de la compétence des professeurs d’Université, l’exigence de
publication régulière pour les professeurs d’Universités, l’obligation pour les
Universités de produire de la recherche scientifique utiles pour le pays.
Cette absence de
régulation dans le système de l’enseignement supérieur haïtien empêche la bonne
marche des Universités et fait obstacle
à la construction d’un système universitaire fondé sur le principe de l’excellence.
Même au sein de l’UEH, les programmes d’études des facultés sont très
différents dans un même domaine d’études. Ainsi, le programme d’études de
sociologie enseigné à la faculté des Sciences humaines est différent du
programme d’études de sociologie enseigné à la faculté d’ethnologie. En sciences
juridiques, il se crée un tas de faculté de droit dont les programmes d’études
sont nettement différents. En outre, la durée de la formation académique varie
aussi car certaines facultés proposent des études de licence en droit en 3 ans
alors que traditionnellement une formation de niveau licence en droit dure 4
ans. Cette absence d’uniformité dans les programmes de formation fait qu’il est
hyper difficile de donner une équivalence à un étudiant qui voudrait changer
d’université.
Dès lors que nous admettons
que le système universitaire haïtien n’est pas régulé[12],
cela nous renvoie à une question essentielle : Qui devrait faire ce
travail de régulation ? L’Université d’Etat d’Haïti et le Ministère de
l’Éducation de l’Education Nationale, notamment via la direction de
l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, se trouvent souvent
en conflit de compétence pour jouer ce rôle. La création des Universités
publiques de région sous l’autorité du Ministère de l’éducation nationale ne
fait qu’empirer le problème. Cependant, ni l’UEH, ni le MENFP n’a les
ressources humaines, matérielles et financières pour faire ce travail. Il
importe de signaler que la Constitution amendée a retiré la mission de
régulation entre les mains de l’UEH. En effet, l’article 211 de la Constitution
est désormais ainsi libellé : «Il
est créé un organisme public chargé de la régulation et du contrôle de qualité
de l'enseignement supérieur et scientifique sur tout le territoire. Cet
organisme exerce son contrôle sur toutes les institutions publiques et non
publiques travaillant dans ces deux domaines. Chaque année, il publie un
rapport sur la qualité de la formation et établit institutions performantes. La
loi détermine la dénomination, fixe le mode d'organisation et de fonctionnement
de cet Organisme»
Cependant, à l’heure actuelle, cet organisme n’est pas encore créé dans la
pratique. En outre, Il importe de questionner l’avenir de cet Organisme quand
on sait que beaucoup de secteurs de la vie politique soutiennent que les amendements
constitutionnels ne sont pas entrés en vigueur et qu’ils ne les reconnaissent
pas. Par ailleurs, il a été nommé vers la fin de l’année 2011 un Secrétaire d’État
à l’enseignement supérieur pour faire ce travail de régulation et préparer la
mise en place de l’Organisme public de régulation créé par la constitution.
Malgré la nomination dudit Secrétaire d’État, on ne voit pas encore des
résultats positifs et concrets. Ainsi, on est encore loin de résoudre le
problème de la régulation de l’enseignement supérieur en Haïti.
Ce problème
d’absence de régulation n’est pas sans incidence sur la réputation et la
perception de l’Université haïtienne à l’étranger. En effet, les Universités
étrangères et les étrangers en général font de moins en moins confiance à nos
diplômés qui sont présumés ne pas être à la hauteur. D’où la présence sur le
territoire haïtien d’un tas d’experts étrangers alors que beaucoup de
professionnels haïtiens compétents sont au chômage.
Quand on considère le lot de problèmes existant
dans le système universitaire haïtien, on ne peut que donner raison au
Professeur Fritz Dorvilier qui affirme, dans son ouvrage intitulé La crise
haïtienne du développement, que : « l’Université haïtienne est prise dans la spirale de l’échec ».
Or, le développement d’Haïti ne peut pas faire l’économie d’une Université
produisant une recherche efficace. En effet, c’est l’Université, à travers ses
recherches, qui doit fournir les idées, les techniques, les découvertes
permettant le développement d’Haïti. Voyant l’état déplorable de cette dernière,
on peut aisément comprendre pourquoi Haïti peine à prendre le chemin du
développement durable. D’où une question importante que devrait se poser toute
personne soucieuse de l’avenir de l’Université haïtienne et donc du pays en
général : Quid faciam ?
[1] Propos tenus lors de son intervention axé
sur le thème « L’Université haïtienne,
Quelle organisation pour quelle mission aujourd’hui? » à
une table ronde à l’Université Quisqueya Cf. http://lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=28471, page consulté le 1 novembre 2013
[2] Voir l’article de Jean Marie
Théodat intitulé «L’enseignement supérieur et la recherche en Haiti : état
des lieux et perspectives » disponible sur le lien http://haiti.mit.edu/files/2010/09/theodat-livre-blanc.pdf, consulté le 2 novembre 2013
[4] Voir l’article de Jn Anil Louis Juste
intitulé : «Université et société en Haïti » disponible sur le
lien http://www.alterpresse.org/spip.php?article211#.UnO5q3CsiSo, consulté le 1 novembre 2013
[5] Pour approfondir
cet aspect, voir le document intitulé : «L’institution universitaire: son rôle dans la société, sa mission et ses
mécanismes de régulation» du Conseil Supérieur de
l’Éducation du Québec. Disponible sur http://www.fqppu.org/bibliotheque/prises-de-position/memoires-avis/institution-universitaire.html, consulté le 22 octobre
2013
[6] Il importe de signaler
quelques rares Universités ont des revues mais souvent les publications se font
rarement et dans un contexte difficile.
[7]«Haïti: recherche universitaire et développement»,
article de Yvon Janvier disponible sur http://www.lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=34676, consulté le 22 octobre
2013
[8]‘’Statistiques et vérité
de la Palisse’’, article de Roberson Alphonse disponible sur http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=120355, consulté le 23 octobre
2013.
[9] Bulletin juin-Juillet
2012 de l”UEH
[10] Il existe environ 200
institutions supérieures privées. Cf. Jean Marie Raymond Noël dans son article
«Construire le système de l’enseignement supérieur haïtien » disponible
sur le lien suivant http://www.alterpresse.org/spip.php?article12130#.UnEbdXCsiSo, consulté le 29 0ctobre
2013
[11] La Constitution de 1987,
le décret de 1960 créant l’UEH (déclaré caduque) et les dispositions
transitoires de 1997 relatives à l’organisation de l’administration centrale de
l’UEH sont les instruments juridiques traitant de l’UEH.
[12] Sur ce point, Voir l’article
de Jean Marie Raymond Noël intitulé «Construire le système de l’enseignement
supérieur haïtien » disponible sur le lien http://www.alterpresse.org/spip.php?article12130#.UnEbdXCsiSo, consulté le 29 0ctobre
2013
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