mercredi 28 janvier 2015

L’impasse difficile de l’Université haïtienne


Il est bien connu que l’Université, parce qu’elle est productrice de savoirs, de sciences et de techniques, joue un rôle important dans le développement et dans le bon fonctionnement d’un pays. Beaucoup de pays  voulant atteindre le développement durable ont bien compris cette corrélation entre Université et développement. Ainsi, ces pays mettent  tout en branle afin d’avoir des Universités qui constituent des pôles d’excellence. On n’a pas besoin d’aller chercher trop loin pour trouver un exemple : en République Dominicaine, il y a des Universités d’excellence qui ont une reconnaissance internationale au point que même des étudiants originaires des pays développés choisissent d’y étudier. Hélas ! En Haïti, l’Université est dans un état tellement déplorable que l’on peut bien se demander si elle mérite son nom. D’ailleurs, Selon le Professeur Yves Dorestal, l’Université haïtienne n’existe pas encore, nous avons tout simplement des écoles supérieures qu’on a réunies en Universités[1]. Les problèmes de l’Université en Haïti sont tellement nombreux[2] et complexes que nous serons forcément incomplet dans les quelques lignes qui vont suivre. L’ambition de cet article est plus de soulever ce problème que l’on a tendance à oublier et négliger que de fournir des solutions détaillées.

1-Histoire succincte de l’Université haïtienne

                  En Haïti, c’est à partir du 19 siècle, après l’indépendance, qu’il y a eu les premières tentatives de création d’institutions d’enseignement supérieur[3]. Ainsi, le roi Henry Christophe a créé en 1815 une Académie royale qui comprenait une école de médecine, de chirurgie et de pharmacie, une école des arts et métiers et une école d’agriculture. Sous Jean Pierre Boyer, on tenté la mise en place d’une Académie nationale d’Haïti qui eut une existence très éphémère. Par la suite, dans la seconde moitié du 19 siècle, il y a eu quelques tentatives privées comme par exemple l’école polytechnique D’Haïti. Mais toutes créations sont restées des tentatives qui n’ont pas fait long feu. Le premier véritable établissement public d’enseignement supérieur est l’École de Droit (actuellement Faculté de Droit et des Sciences Economiques) qui fut inauguré en Avril 1860 par Élie Dubois. Elle était logé dans l’actuel bâtiment da la DGI et les professeurs était des juristes formés en France. D’où cette une prédominance de la culture juridique française en Haïti et le rattachement du droit haïtien à la famille romano-germanique. Ensuite, il y a eu la création de la Faculté des Sciences en 1802 sous forme d’institution d’enseignement privée dénommée alors École des Sciences Appliquées. Elle fut rattachée en 1931 par contrat à la Direction Générale des Travaux Publics ; et rattachée aussi par contrat en 1941 au Département de l’Éducation Nationale. Par un arrêté présidentiel de 1945, cette école fut rattachée à la Faculté des sciences de l’Université d’Haïti créée en 1944. On remarque que la plupart des Établissements créés avant 1940 ont une orientation technique (Faculté des Sciences, Faculté de Médecine, Faculté d’Agronomie à l’exception de la Faculté de Droit). Cela est dû, dit-on, au pragmatisme des américains qui dirigeaient le pays sous l’occupation américaine. Ces derniers ont préféré mettre en place des facultés techniques.

                  Au début du XXème siècle, avec l’adoption de la loi sur l’Université d’Haïti du 4 août 1920, on sent apparaitre des velléités d’organiser l’enseignement supérieur. Cependant, dans cette loi, l’Université était pris dans le sens qu’il avait au Moyen Age ou l’on intégrait à la fois les niveaux primaires, secondaires et supérieurs. Avec le décret du 27 décembre 1944, il y a eu une acception moderne de l’Université et on va essayer de prendre pour modèle les universités européennes. Un arrêté du 31 août 1945 introduira le début de la vision selon laquelle l’Université est l’entité gérant l’enseignement supérieur. Parallèlement à ces changements, l’Université a commencé à devenir un espace de débat et de réflexion sur les problèmes du pays. Il en résulte que certains étudiants ont commencé à avoir des positions politiques bien tranchées et sont prêts à utiliser des moyens concrets de revendication. D’où le fait que les autorités politiques ont souvent tendance à considérer l’Université comme une menace. Dans cette contexte, l’histoire de l’Université haïtienne s’écrit dans une dynamique de conflit entre l’Université, notamment l’UEH, et les diverses autorités politiques qui se succèdent. Dans ce même ordre d’idée, François Duvalier procéda à l’abrogation du décret-loi de décembre 1944 par un décret du 16 décembre 1960. La finalité de ce nouveau décret était de permettre à l’État de contrôler l’Université après une grève des étudiants de la même année[4]. Il faut noter que ce décret change l’appellation de l’Université d’Haïti à celle d’Université d’Etat d’Haïti. A notre avis, c’était un moyen pour le pouvoir en place d’alors d’insinuer le droit de contrôle de l’Etat sur l’Université. La Constitution de 1983 a proclamé que L’Université d’État d’Haïti est une institution indépendante. Cependant, aucune loi ne fait plus de précision sur cet aspect. La loi organique de 1989 du Ministère de l’éducation nationale s’est contentée de dire que l’Université d’État d’Haïti est un organisme déconcentré.  Avec la chute du régime dictatorial des Duvalier, la Constitution de 1987 réaffirma le statut d’institution indépendante de l’UEH et le contexte était devenu propice pour que cette dernière puisse se comporter véritablement comme telle. Désormais, les Doyens, les Vices recteurs et Recteurs ne sont plus nommés par le gouvernement mais par le biais d’élections. L’année 1997 constitue une nouvelle page dans l’histoire de l’UEH car il y a été adopté des dispositions transitoires qui constatent la caducité du décret du 16 décembre 1960. Ces dispositions reconnaissent : «La liberté d’expression, la liberté académique, la liberté de gestion, la liberté financières et l’inviolabilité de l’espace universitaire.» Ces dispositions devraient rester en vigueur jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi organique. L’arrêté du 27 juillet 2002 du Ministère de l’éducation nationale avait décidé de dissoudre le Conseil de l’Université, de mettre fin au processus électoral et de remplacer le conseil exécutif de l’UEH par un conseil provisoire. Cela avait provoqué un mouvement des professeurs et des étudiants de juillet à décembre 2002 qui avait abouti au retour de l’ancien Recteur et à la démission du ministre. Jusqu’à date, l’UEH est souvent le théâtre de crises résultant de mouvements d’étudiants mécontents de la situation de l’Université ou d’étudiants réclamant des réformes dans le secteur politique.

2- La recherche dans l’Université haïtienne, un impératif qui manque

                  Si l’on part du fondement que l’une des missions essentielles d’une Université est de produire de la connaissance scientifique pouvant être exploitée pour le progrès et le développement d’une société[5], notre première question est la suivante: l’ensemble des Universités haïtiennes produisent-elles de la connaissance scientifique pouvant être utile au progrès d’Haïti? Nous sommes, hélas, contraint de répondre par la négative. En dépit de l’article 211-1 de la Constitution qui dispose : «Les universités et écoles supérieures privées et publiques dispensent un enseignement académique adapté à l’évolution et aux besoins du développement national », l’Université haïtienne est loin de participer efficacement au développement du pays. En effet, les Universités haïtiennes ne publient pas de revues scientifiques[6] et rarissimes sont les professeurs qui publient des ouvrages et/ou des articles scientifiques. En outre, s’agissant des sciences exactes, jamais il n’y a eu une découverte scientifique ou une invention quelconque en Haïti. En effet, cela est dû en partie au fait qu’en Haïti, l’Université ne fait qu’un travail de formation et non pas un travail de recherche.  Autrement dit, on se contente à inculquer aux étudiants des théories venues de l’Occident sans leur apprendre comment faire des recherches utiles à la nation haïtienne ni non plus comment, notamment en sciences sociales, construire des théories adaptées à la situation haïtienne. Normalement, la réputation d’un Professeur d’Université tient à ses publications. Or, dans le système universitaire haïtien, on ne contraint pas ou n’encourage pas les Professeurs à publier. Ainsi, On trouve des Professeurs qui ont 20 ans de carrière qui n’ont jamais fait une publication scientifique. Ce qui est constitue, à notre avis, une situation catastrophique. Un extrait des propos de J. C. Fignolé à propos des Universités haïtiennes résume bien cet état de fait catastrophique : « l’UEH, pour ne citer que celle-là, se retrouve fermée sur elle-même dans des structures vétustes, codifiant des savoirs dépassés»[7].

                  Pourquoi donc la recherche en Haïti est moribonde? Sans prétention de donner une réponse exhaustive, c’est qu’une majorité écrasante de nos Professeurs d’Université  ne sont pas de véritables chercheurs. Le problème tient son origine dans la méthode de travail même des professeurs. Normalement, dans les pays occidentaux, le professeur est nommé, à temps plein, pour un travail de formation et de recherche. Il a un bureau, un salaire décent et d’autres avantages lui permettant de faire son travail en toute quiétude. Or, que ce soit à l’Université d’Etat d’Haïti ou aux Universités privés, les professeurs sont pour la plupart recrutés à temps partiel, généralement engagés pour faire un ou plusieurs cours bien spécifiques avec un salaire qui ne suffit pas pour leur permettre une vie décente. En outre, la plupart de ces professeurs n’ont aucun bureau et ne sont rattachés à aucun laboratoire de recherche. Dans ce contexte, le professeur est obligé d’aller chercher un ou plusieurs emplois supplémentaires pour gagner dignement sa vie. En fait, la plupart des professeurs d’Université en Haïti sont des gens travaillant soit dans l’Administration publique, Soit dans les Organisations internationales, soit dans les ONG ou dans le secteur privé.  Il en résulte qu’ils n’ont pas assez de temps pour participer aux activités académiques.  Cette situation engendre d’autres problèmes tels que l’absence et le retard dans les cours, l’incapacité de respecter le nombre d’heures requis pour l’année académique, l’incapacité de finir le programme d’études pour l’année académique. Souvent, les étudiants laissent leur maison tôt dans le matin sans petit déjeuner pour assister à un cours programmé pour 7h du matin et c’est à leur arrivée en salle qu’ils apprennent que le professeur a une contrariété et ne pourra pas se présenter au cours. En outre, cela affecte aussi  la qualité de la formation car le professeur n’a pas le temps ni pour préparer ses cours ni non plus pour l’annoter en fonction des évolutions du domaine en question. D’où l’origine du problème de la mauvaise qualité et de la désuétude des cours enseignés dans certaines Universités.  

                  À l’Université d’Etat d’Haïti (UEH), il existe quelques rares professeurs à temps plein mais ils ont un maigre salaire ne leur permettant pas vraiment de vivre décemment. Comment en effet payer environ 40000 gourdes (environ 800 euros) de salaire mensuel à un Professeur à temps plein?[8] Ainsi, même s’ils sont recrutés à temps plein, ils sont obligés de chercher des emplois supplémentaires. Dans ce contexte, ils n’ont pas le temps de se consacrer aux activités de la recherche. Il est à noter que ces professeurs travaillent souvent sur un fond de frustration légitime et juste quand on met en relation leur niveau d’études et leur salaire. Il est assez paradoxal qu’on réclame un niveau de bac+5 minimum à un Professeur quand on refuse de lui donner un salaire décent. Soulignons  à l’eau forte que beaucoup d’institutions paient des salaires très alléchants aux personnes ayant un niveau de bac+5.

                  Parce-que l’Université haïtienne ne traite pas bien ses Professeurs,  beaucoup de gens ayant fait des études avancées  (Master, doctorat, post-doctorat), malgré leur amour pour le professorat, préfèrent  travailler dans d’autres institutions qui les rémunèrent dignement ou même préfèrent quitter Haïti, après des colères et frustrations justes, pour intégrer l’enseignement supérieur ailleurs. L’Université haïtienne perd ainsi de brillants chercheurs qui pourraient participer à son essor.  Sur ce dernier point, Il est à faire remarquer  une certaine hypocrisie de la classe politique haïtienne qui fanfaronne dans les medias de la nécessité d’empêcher la fuite des cerveaux mais qui ne fait rien concrètement pour attirer et garder les chercheurs haïtiens de haut niveau.

3-Le mauvais traitement des professeurs, un problème dû à la dévalorisation de l’enseignement supérieur et la recherche en Haïti

                  Nous ne saurions faire l’économie d’une question fondamentale: Pourquoi en Haïti les Professeurs d’Université ne sont pas bien traités? La réponse diffère selon qu’il s’agit de l’Université d’État d’Haïti ou des Universités privées. S’agissant de ces dernières, souvent leur budget, résultant principalement des frais d’inscription et des frais de scolarité des étudiants, n’est pas suffisant pour qu’il puisse recruter des Professeurs à temps plein. Par ailleurs, Il est à noter qu’il existe une pléthore d’Universités borlette dans le pays qui n’ont ni les moyens financiers, ni les structures pour fonctionner normalement. Parfois, ils fonctionnent sans l’autorisation de l’Etat. Ces Universités donnent donc un salaire de misère à leurs Professeurs dont une grande partie d’entre eux ne sont pas qualifiés. Parfois on trouve des gens qui n’ont pas encore le grade de licencié qui enseigne comme Professeur. Comment en effet, admettre que quelqu’un n’ayant pas encore le grade de licencié puisse enseigner des étudiants en licence? Cela constitue une aberration. Il est évident que ces prétendus professeurs n’ayant aucun diplôme sont obligés d’accepter n’importe quel misérable salaire vu qu’ils ne sont pas qualifiés. Il est sans besoin de signaler que le niveau d’éducation qui se dégage dans ces dites Universités laissent à désirer.

S’agissant de l’Université d’Etat d’Haïti, d’aucuns donnent la même réponse que pour les Universités privées, à savoir l’UEH n’a pas les moyens financiers de payer des Professeurs à temps plein. Quand, exceptionnellement, elle le fait, elle n’accorde qu’un salaire maigre faute de moyens. Dans ce contexte, les Professeurs à temps plein de l’UEH devraient se considérer comme des héros sacrifiant leur salaire pour participer à la formation des futurs cadres du pays. Cependant, cet argument ne tient pas car l’origine des ressources de l’UEH n’est pas la même que les Universités privées. L’UEH est en effet une institution indépendante dont les principales ressources financières proviennent du budget de la République. Donc, on est amené à poser la question que voici: « Pourquoi l’Etat haïtien, à travers le budget de la République, n’accorde pas un traitement décent aux Professeurs et ne leur donne pas les moyens de faire de la recherche? » Pourquoi  on préfère recruter des professeurs à temps partiel au lieu de professeurs à temps plein? Normalement, dans les Universités occidentales, le Professeur à temps partiel est une exception. C’est un moyen pour lesdites Universités de recruter un haut fonctionnaire  ou homme de terrain afin que ce dernier puisse mettre son expertise et son expérience pratique au service de l’Université. Cependant, en Haïti, les professeurs à temps partiel constituent la normalité, les Professeurs à temps plein étant l’exception. Aux deux questions que nous venons de formuler précédemment, la réponse la plus fréquente que l’on obtient de la part des décideurs politiques est qu’il n’y pas assez d’argent pour cela. Cette réponse facile parait acceptable quand on sait qu’Haïti est un pays pauvre. Néanmoins, on peut bien la remettre en cause par rapport à d’autres facteurs. En effet, les autorités étatiques prétendent ne pas avoir les moyens pour financer correctement l’enseignement supérieur et la recherche au sein de l’UEH. Cependant, une analyse rationnelle des politiques publiques et de l’allocation des ressources financières au sein de l’Etat montre leur mauvaise foi. À ce sujet, le Professeur Fritz Deshommes a déclaré : l’État ne définit pas, ni n’applique une politique publique claire en matière d’enseignement supérieur et de recherches scientifiques. Le budget de l’Université en est l’indicateur[9]». Pour attester de la mauvaise foi des autorités politiques à ce sujet, on peut faire la comparaison avec les salaires de nombres de consultants auprès des institutions publiques. Pourquoi l’Etat paie grassement des consultants alors que des Professeurs d’Université ne reçoivent pas des traitements décents? Le travail que fait un Professeur ne serait-t-il pas aussi ou même plus important et utile que celui d’un consultant? Si, comme moi, votre réponse à cette question est affirmative, on peut donc conclure que si les Professeurs de l’UEH n’ont pas un bon traitement, c’est parce que les autorités politiques du pays ne valorisent pas l’enseignement supérieur et la recherche.

4-L’absence de la régulation de l’enseignement supérieur en Haïti

                  Vu le nombre d’Universités existant sur le territoire haïtien[10], il y a un besoin pressant que l’ensemble de ces Universités obéissent à un ensemble de règles permettant leur bon fonctionnement et une certaine uniformité dans leurs méthodes de travail. C’est que nous entendons par régulation de l’enseignement supérieur. En l’état actuel du système universitaire haïtien, cette régulation est quasiment existante. D’ailleurs, il y a un vide juridique sur l’enseignement supérieur en Haïti. Alors que la réforme de l’enseignement supérieur est un sujet très en vogue en Haïti, les projets de loi déposés dans ce domaine n’ont jamais eu de succès. Il n’y a que l’Université d’État d’Haïti qui est pris en compte par le droit positif[11]. D’ailleurs, on ne s’entend pas sur l’institution qui a pour compétence de faire ce travail de régulation. Selon la Constitution haïtienne de 1987, c’est l’Université d’État d’Haïti qui devrait faire ce travail. En effet, l’article 211 de la Constitution dispose : « L’autorisation de fonctionner des universités et des écoles supérieures privées est subordonnée à l’approbation technique du conseil de l’Université d’État, à une participation majoritaire haïtienne au niveau du capital et du corps professoral ainsi qu’à l’obligation d’enseigner notamment en langue officielle du pays. »  Cependant, dans la réalité les Institutions d’enseignement supérieur privées  n’ont jamais accepté cette mesure constitutionnelle. D’ailleurs, l’UEH ne joue pas vraiment ce rôle. C’est plutôt le Ministère de l’éducation nationale et de la formation professionnelle qui donnent l’accréditation aux Universités privées. Or, c’est un secret de polichinelle que l’attribution de l’accréditation est plus fondée sur les accointances personnelles que sur la compétence. Dans ce contexte, n’importe quelle Université bidon peut avoir une reconnaissance de l’État si ses fondateurs ont du piston. D’où la présence sur le marché haïtien d’un tas d’Universités borlette. 

                  En outre, Une fois que le Ministère de l’éducation nationale accorde l’autorisation de fonctionnement, il n’y aucun travail de suivi qui est fait. Or, la régulation de l’enseignement supérieur ne saurait se limiter au fait d’accorder une reconnaissance ou non à des Universités. Elle renvoie à beaucoup d’autres exigences. Sans prétention à l’exhaustivité, nous pouvons citer celles-ci : le suivi et l’évaluation des programmes d’études des Universités, le contrôle de la qualité des cours dispensés, l’uniformité des programmes de formation, la coopération universitaire, le contrôle de la qualité de l’espace physique dans lesquelles les cours sont dispensés, la vérification de la compétence des professeurs d’Université, l’exigence de publication régulière pour les professeurs d’Universités, l’obligation pour les Universités de produire de la recherche scientifique utiles pour le pays.

                  Cette absence de régulation dans le système de l’enseignement supérieur haïtien empêche la bonne marche des Universités et  fait obstacle à la construction d’un système universitaire fondé sur le principe de l’excellence. Même au sein de l’UEH, les programmes d’études des facultés sont très différents dans un même domaine d’études. Ainsi, le programme d’études de sociologie enseigné à la faculté des Sciences humaines est différent du programme d’études de sociologie enseigné à la faculté d’ethnologie. En sciences juridiques, il se crée un tas de faculté de droit dont les programmes d’études sont nettement différents. En outre, la durée de la formation académique varie aussi car certaines facultés proposent des études de licence en droit en 3 ans alors que traditionnellement une formation de niveau licence en droit dure 4 ans. Cette absence d’uniformité dans les programmes de formation fait qu’il est hyper difficile de donner une équivalence à un étudiant qui voudrait changer d’université.

                  Dès lors que nous admettons que le système universitaire haïtien n’est pas régulé[12], cela nous renvoie à une question essentielle : Qui devrait faire ce travail de régulation ? L’Université d’Etat d’Haïti et le Ministère de l’Éducation de l’Education Nationale, notamment via la direction de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, se trouvent souvent en conflit de compétence pour jouer ce rôle. La création des Universités publiques de région sous l’autorité du Ministère de l’éducation nationale ne fait qu’empirer le problème. Cependant, ni l’UEH, ni le MENFP n’a les ressources humaines, matérielles et financières pour faire ce travail. Il importe de signaler que la Constitution amendée a retiré la mission de régulation entre les mains de l’UEH. En effet, l’article 211 de la Constitution est désormais ainsi libellé : «Il est créé un organisme public chargé de la régulation et du contrôle de qualité de l'enseignement supérieur et scientifique sur tout le territoire. Cet organisme exerce son contrôle sur toutes les institutions publiques et non publiques travaillant dans ces deux domaines. Chaque année, il publie un rapport sur la qualité de la formation et établit institutions performantes. La loi détermine la dénomination, fixe le mode d'organisation et de fonctionnement de cet Organisme» Cependant, à l’heure actuelle, cet organisme n’est pas encore créé dans la pratique. En outre, Il importe de questionner l’avenir de cet Organisme quand on sait que beaucoup de secteurs de la vie politique soutiennent que les amendements constitutionnels ne sont pas entrés en vigueur et qu’ils ne les reconnaissent pas. Par ailleurs, il a été nommé vers la fin de l’année 2011 un Secrétaire d’État à l’enseignement supérieur pour faire ce travail de régulation et préparer la mise en place de l’Organisme public de régulation créé par la constitution. Malgré la nomination dudit Secrétaire d’État, on ne voit pas encore des résultats positifs et concrets. Ainsi, on est encore loin de résoudre le problème de la régulation de l’enseignement supérieur en Haïti.

                  Ce problème d’absence de régulation n’est pas sans incidence sur la réputation et la perception de l’Université haïtienne à l’étranger. En effet, les Universités étrangères et les étrangers en général font de moins en moins confiance à nos diplômés qui sont présumés ne pas être à la hauteur. D’où la présence sur le territoire haïtien d’un tas d’experts étrangers alors que beaucoup de professionnels haïtiens compétents sont au chômage.

Quand on considère le lot de problèmes existant dans le système universitaire haïtien, on ne peut que donner raison au Professeur Fritz Dorvilier qui affirme, dans son ouvrage intitulé La crise haïtienne du développement, que : « l’Université haïtienne est prise dans la spirale de l’échec ». Or, le développement d’Haïti ne peut pas faire l’économie d’une Université produisant une recherche efficace. En effet, c’est l’Université, à travers ses recherches, qui doit fournir les idées, les techniques, les découvertes permettant le développement d’Haïti. Voyant l’état déplorable de cette dernière, on peut aisément comprendre pourquoi Haïti peine à prendre le chemin du développement durable. D’où une question importante que devrait se poser toute personne soucieuse de l’avenir de l’Université haïtienne et donc du pays en général : Quid faciam ?

Auteur: Me. Caleb Deshommes, Professeur des Universités, Avocat au Barreau de Port-au-Prince


[1] Propos tenus lors de son intervention axé sur le thème « L’Université haïtienne, Quelle organisation pour quelle mission aujourd’hui? »  à une table ronde à l’Université Quisqueya Cf. http://lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=28471, page consulté le 1 novembre 2013
[2] Voir l’article de Jean Marie Théodat intitulé «L’enseignement supérieur et la recherche en Haiti : état des lieux et perspectives » disponible sur le lien http://haiti.mit.edu/files/2010/09/theodat-livre-blanc.pdf, consulté le 2 novembre 2013
[3] Site officiel de l’UEH http://www.ueh.edu.ht/admueh/historique.php, consulté le 1 novembre 2013
[4] Voir l’article de Jn Anil Louis Juste intitulé : «Université et société en Haïti » disponible sur le lien http://www.alterpresse.org/spip.php?article211#.UnO5q3CsiSo, consulté le 1 novembre 2013
[5] Pour approfondir cet  aspect, voir le document intitulé : «L’institution universitaire: son rôle dans la société, sa mission et ses mécanismes de régulation» du Conseil Supérieur de l’Éducation du Québec. Disponible sur http://www.fqppu.org/bibliotheque/prises-de-position/memoires-avis/institution-universitaire.html, consulté le 22 octobre 2013
[6] Il importe de signaler quelques rares Universités ont des revues mais souvent les publications se font rarement et dans un contexte difficile.
[7]«Haïti: recherche universitaire et développement», article de Yvon Janvier disponible sur http://www.lematinhaiti.com/contenu.php?idtexte=34676, consulté le 22 octobre 2013
[8]‘’Statistiques et vérité de la Palisse’’, article de Roberson Alphonse disponible sur http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=120355, consulté le 23 octobre 2013.
[9] Bulletin juin-Juillet 2012 de l”UEH
[10] Il existe environ 200 institutions supérieures privées. Cf. Jean Marie Raymond Noël dans son article «Construire le système de l’enseignement supérieur haïtien » disponible sur le lien suivant http://www.alterpresse.org/spip.php?article12130#.UnEbdXCsiSo, consulté le 29 0ctobre 2013
[11] La Constitution de 1987, le décret de 1960 créant l’UEH (déclaré caduque) et les dispositions transitoires de 1997 relatives à l’organisation de l’administration centrale de l’UEH sont les instruments juridiques traitant de l’UEH.
[12] Sur ce point, Voir l’article de Jean Marie Raymond Noël intitulé «Construire le système de l’enseignement supérieur haïtien » disponible sur le lien http://www.alterpresse.org/spip.php?article12130#.UnEbdXCsiSo, consulté le 29 0ctobre 2013





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